La permaculture du client : chronique 3
L’entreprise comme moteur d’un écosystème vertueux
Face aux crises en série, nous croyons que l’entreprise peut-être plus agile et plus résiliente en développant d’autres potentialités que d’être uniquement un centre de profit ou un centre de production (de biens ou de services).
Et même plus que ça : nous croyons que sans cette transformation, il n’y a plus d’avenir possible, car poursuivre la croissance économique sur la base des 150 dernières années nous mène droit dans le mur.
Repenser le système
Il a fallu plus de 4 décennies afin que des « illuminés » de la Permaculture arrivent à prouver qu’une autre façon de nourrir la planète était possible,1 tout en la préservant.
Les crises en cours leur donnent entièrement raison. Et la bonne nouvelle, c’est que la permaculture n’est pas qu’une solution agricole. Elle est aussi un concept qui inspire d’autres sphères de l’activité humaine, dont le marketing des entreprises.
Pour reprendre les mots de Charles et de Perrine Hervé-Gruyer, fondateurs de la Ferme du Bec Hellouin, pionnière de la Permaculture en France :
« La permaculture est avant tout une approche conceptuelle.
Le design permaculturel (design est un anglicisme pouvant être traduit par « conception ») est en premier lieu une démarche d’observation et de réflexion pour positionner correctement les éléments d’un système les uns par rapport aux autres, de manière qu’ils puissent interagir.
Un système soigneusement conçu sera ensuite plus économe en intrants et en énergie, demandera moins d’efforts pour fonctionner tout en étant plus productif2.
Ce que nous avons lu sur la permaculture nous a fait comprendre que le « système » autour de l’entreprise est en réalité beaucoup plus vaste.
Penser l’entreprise comme un écosystème (conception circulaire) plutôt qu’une entité de production (conception linéaire) permet de repositionner les éléments du système à une tout autre échelle, intégrant du coup les aspects économiques, environnementaux et sociaux comme faisant partie du même tout et pouvant fonctionner ensemble plutôt que des silos désengagés les uns des autres.
L’entreprise peut ainsi réinventer son rôle moteur et permettre une valorisation de tous les éléments liés à cet écosystème plutôt que de se cantonner dans la création de valeur liée à sa simple production.
Tableau comparatif : L’entreprise conventionnelle vs l’entreprise écosystémique
Éléments-clés tirés de l’observation des écosystèmes² | L’entreprise conventionnelle | L’entreprise pensée comme un écosystème |
---|---|---|
Dans la nature, tout est relié. | L’entreprise traditionnelle ne se voit pas au départ comme partie prenante d’un écosystème. | Dans l’entreprise en écosystème, tout est lié et tous connaissent le rôle et les responsabilités de chacun. |
Les écosystèmes fonctionnent en boucle. | L’entreprise traditionnelle fonctionne de manière plutôt linéaire dans une logique de type « fordienne » et une organisation basée essentiellement sur des silos de tâches. Cette organisation s’applique à son fonctionnement interne comme externe. | L’entreprise en écosystème fonctionne en boucle. Chaque service/individu a intégré son action par rapport au parcours du client et aux autres parties prenantes. |
Chaque élément profite aux autres et reçoit d’eux. | Le système en silos ne favorise pas les partages d’expérience et donc des échanges et des innovations. | L’entreprise en écosystème tend vers une vision partagée et collaborative du travail de chacun afin de favoriser l’innovation et la créativité. |
Les déchets de l’un sont la ressource de l’autre. | De façon générale, l’entreprise ne se voit pas comme partie d’un tout. Par exemple, les déchets produits par une entreprise ne sont pas considérés comme une valeur économique ni environnementale. | L’entreprise en écosystème réfléchit d’abord à réduire ses « déchets », sinon à les neutraliser ou encore mieux et à les revaloriser. |
Tout est recyclé. | Le recyclage ne fait pas partie des priorités des process. | L’entreprise en écosystème intègre dans sa mission le concept même de recyclage. |
Chaque fonction importante est remplie par plusieurs éléments, et chaque élément remplit potentiellement plusieurs fonctions. | De façon générale l’entreprise en silos fonctionne de manière verticale avec des systèmes de contrôle et de gestion centralisés. | L’entreprise en écosystème favorise plutôt une approche horizontale du travail et de la relation client. Chaque individu peut être un point de contact pertinent avec le client ou autre partie prenante et avoir la capacité à innover et créer de la valeur. |
Le tout est plus grand que la somme des parties. | La valeur de l’entreprise traditionnelle est essentiellement sa rentabilité. | Dans l’entreprise en écosystème, sa valeur dépasse sa simple rentabilité, et intègre des notions comme « prendre soin de la Terre, prendre soin des Hommes et assurer une répartition équitable des ressources ». |
Chaque écosystème fonctionne de manière largement autonome et apporte une contribution à l’ensemble de la biosphère. | L’entreprise traditionnelle n’a pas vocation au départ à penser de manière globale sa mission dans sa région, son pays, la planète. | L’objectif de l’entreprise en écosystème est de créer un réseau de relations bénéfiques entre tous les composants d’un système. Elle cherche à positionner correctement les éléments d’un système (ex : parties prenantes internes et externes) les uns par rapport aux autres, de manière qu’ils puissent interagir pour créer de la valeur. |
Appliquer les concepts de la permaculture à l’entreprise, quelle que soit son activité, permet d’explorer toutes les facettes de ce qu’est une entreprise : une unité de production économique soit, mais aussi un bassin de ressources humaines et matérielles formidable, un potentiel de compétences variées, de passions mobilisatrices, un réseau de contacts tentaculaire, bref un véritable « nid d’humains » qui devient autant d’interfaces possibles pour nourrir la relation toujours plus exigeante avec les clients, avec les prospects et aussi avec les salariés.
L’entreprise écosystémique permet de nourrir une dynamique plus vertueuse.
Elle peut représenter une véritable alternative au système actuel où l’entreprise doit produire toujours plus à toujours moins de coûts, et privilégier plus de valeurs humaines que des valeurs strictement économiques.
L’accumulation des crises des dernières années et leurs impacts ont mis en lumière les limites du système actuel au niveau écologique, social et économique. Elles seront peut-être l’électrochoc en faveur d’un changement véritable de l’entreprise, pour plus d’inclusion, plus de partage, plus de respect pour les Humains et la Planète.
Mais comme pour l’agriculture, le changement ne viendra pas forcément des instances dominantes ou dirigeantes. Il repose sur la volonté des entrepreneurs de demain d’oser défier le système en place. Les citoyens, eux, sont prêts.
Mais alors, on fait comment ?
C’est là qu’intervient le marketing…
Mais il faudra d’abord abandonner les à-priori que ce seul mot suggère ! Il s’agit de l’outil tout désigné pour la création d’un écosystème. Selon la définition de Kotler et Dubois : « Le marketing est le mécanisme économique et social par lequel individus et groupes satisfont leurs besoins et désirs au moyen de la création et de l’échange avec autrui de produits et services de valeur ».
Ainsi le marketing est l’outil, pas l’objectif, mais un outil très pertinent parce qu’il intègre la prise en compte des besoins et des désirs, puissant moteur de motivation et d’action. On se sert du marketing pour trouver des chemins de sens autour des valeurs communes entre ceux qui produisent et ceux qui consomment.
C’est donc par le biais d’une démarche dite « de marketing » (en revisitant les notions de « vision, mission, valeurs, positionnement, persona, offre, parcours d’achat, suivi client »…) que l’entreprise peut reconsidérer son rôle et se projeter tout entière dans son écosystème vertueux.
Ce sera le sujet de la prochaine chronique.
1 Voir quelques projets édifiants en fin d’article
2 P. & C. Hervé-Gruyer, op. cit. p.114
Quelques exemples de performance permaculturelle comme modèle de substitution à la production agricole industrielle :
John Jeavons : méthode GROW INTENSIVE
Chef de file de la microagriculture bio-intensive basée sur la biodynamie, sa méthode évaluée sur plusieurs décennies, obtient des rendements en moyenne deux à six fois plus élevés que ceux de l’agriculture conventionnelle des Etats-Unis. Ainsi elle pourrait représenter « une part importante de la solution à la malnutrition et à la famine, à la raréfaction des ressources en
énergie, au chômage, à l’appauvrissement et la disparition des terres arables… »
Eliot Coleman : Four Season Farm
L’un des meilleurs maraîchers du monde, a perfectionné les méthodes naturelles des jardiniers-maraîchers du 19 e siècle à Paris. Sa pratique de densification des cultures permet d’obtenir des rendements de près de 150 000 euros à l’hectare sans mécaniser ni utiliser de combustibles fossiles, alors que le maraîchage bio en France rapporte en moyenne autour de 30 000 euros pour la même surface (le prix de vente des légumes, vendus plus chers dans le Maine (USA) où cultive Coleman, ne suffit pas à justifier cet écart de
productivité).
Charles et Perrine Hervé-Gruyer : Institut de la Ferme du Bec Hellouin
Grands ambassadeurs de la permaculture, connus dans le monde entier, ils ont réussi le pari d’une ferme en permaculture n’utilisant aucun combustible fossile et qui donne des rendements très enviables de cinquante mille euros l’hectare.
En équipe avec des partenaires scientifiques renommés tels que l’INRA, AgroParisTech, Gembloux Agro-BioTech (Université de Liège) et L’Université Libre de Bruxelles (ULB), elle travaille à la modélisation et à la conception de systèmes agricoles et agroforestiers innovants et durables.
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